JÉRUSALEM CORDES DE RAPPEL
Le prolifique quatuor israélien, qui fête ses 20 ans avec un disque Brahms, se produit deux soirs à Aix.
QUATUOR JÉRUSALEM
OEuvres de Beethoven, Janácek, Brahms (le 10 juillet) etMozart, Janácek, Smetana (le 12), à 20 heures au Théâtre du jeu de paume.
La crise économique a du bon: on fait moins d’opéra et plus de musique. Ce n’est sans doute pas la seule raison pour laquelle la musique de chambre, que l’on disait agonisante, est en train de renaître en France. On saluait récemment dans ces colonnes le succès planétaire des quatuors Diotima et Modigliani, rivalisant avec leurs homologues allemands ou américains. Ce retour du quatuor à cordes, «la forme la plus pure de la musique instrumentale», dixit Fauré, est salutaire, car c’est une école de rigueur et d’abstraction pour les compositeurs, et de discipline pour les instrumentistes.
Transparence. Parmi les quatuors apparus sur la scène internationale ces vingt dernières années, le Quatuor Jérusalem n’est pas des moindres, comme en attestent les albums qu’il publie, au rythme d’un par an, depuis 2001, chez Harmonia Mundi. Après des Mozart et Haydn d’une grande fraîcheur, des Chostakovitch remarquables et des Schubert d’anthologie, le Quatuor Jérusalem vient de publier un disque couplant le Quatuor n°2 de Brahms et son fameux Quintette avec clarinette. Là où beaucoup croient traduire le lyrisme du compositeur en extrêmisant les dynamiques, jusqu’à assommer l’auditeur et faire passer Brahms pour un parangon de lourdeur, le Quatuor Jérusalem mise au contraire sur l’individuation et la caractérisation des voix, ose une transparence qui pourrait être fatale à d’autres formations mais qui révèle ici sa grande profondeur et sa maturité. C’est un Brahms vivant, fouillé, creusé dans toutes ses dimensions, et dont les textures subtiles se détachent avec un relief inédit.
C’est en 1993 qu’Alexander Pavlovsky, premier violon, Sergei Bresler, deuxième violon, Amihai Grosz, altiste, et Kyril Zlotnikov, violoncelliste, se sont rencontrés sur les bancs de l’Académie Rubin de Jérusalem, le plus important conservatoire d’Israël, point de passage de nombre de solistes venus de Russie avant d’aller se perfectionner à la Juilliard School de New York. Alexander Pavlovsky né à Kiev, Sergei Bresler originaire de Kharkov et Kyril Zlotnikov né à Minsk, en Biélorussie, n’ont pas eu à aller auxEtats-Unis pour devenir des géants. Repérés par leur directeur dans l’orchestre du conservatoire de Jérusalem, la ville natale d’Amihai Grosz, les adolescents ont été aussitôt confiés à un fameux pédagogue: le violoniste d’origine roumaine Avi Abramovitch, qui les a initiés à la technique et au répertoire du quatuor à cordes. En 1997, le tout jeune ensemble remporte le premier prix du Concours Schubert à Graz et commence à être invité dans le monde entier.Du Concertgebouw d’Amsterdam au Lincoln Center de Manhattan en passant par le festival de Salzbourg, il n’est pas de grande salle ou rendez-vous prestigieux où le quatuor ne se soit produit.
Si Amihai Grosz est parti en 2010 rejoindre les rangs du Philharmonique de Berlin où il occupe le poste d’altiste solo, son remplaçant, Ori Kam, né à la Jolla, en Californie, et frère de la clarinettiste Sharon Kam, n’est pas non plusmanchot, comme le rappelle la liste des musiciens avec lesquels il a collaboré: Daniel Barenboim, Isaac Stern, Itzhak Perlman, Pinchas Zukerman, Pierre Boulez, Gil Shaham, Emmanuel Pahud…
Drame. Pour son retour à Aix, trois ans après y avoir animé des master classes, le quatuor a choisi d’interpréter le Quatuor n°1, en ut mineur, op. 51 de Brahms, le Quatuor en si bémol majeur,K.589 deMozart, et de mettre en regard les quatuors n°1, en fa majeur, op. 18 de Beethoven et n°1, «Sonate à Kreutzer» de Janácek. S’il n’y a pas grand-chose à dire du k. 529 deMozart, hormis le fait que sa partie de violoncelle est très exigeante –façon pour le compositeur de narguer son dédicataire, le roi de Prusse, qui se targuait de pratiquer l’instrument–, le rapprochement des n°1 de Beethoven et de Janácek est instructif: la partition du Tchèque est inspirée d’une nouvelle de Tolstoï, un drame de la jalousie qui s’achève par unmeurtre et dont le titre, Sonate à Kreutzer, fait référence à la Sonate pour violon et piano n°9 en la majeur de Beethoven qu’interprètent les protagonistes.
Le quatuor de Janácek Lettres intimes, que donnera également le Quatuor Jérusalem, n’est pas moins tourmenté car il évoque la correspondance amoureuse –pas moins de 750 lettres!– du compositeur avec Kamila Stöslova, une femme mariée plus jeune que lui. Dans le mouvement lent, Janácek imagine ce qui se passerait entre eux, s’ils étaient un jour réunis. Quant à nous, depuis qu’on les a entendus à l’auditoriumdu Louvre, on a du mal à imaginer un monde dans lequel les membres du Quatuor Jérusalem ne joueraient plus ensemble.
ÉRIC DAHAN