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Le Temps (Geneva)

BAIN DE LYRISME ET D’ONIRISME

Le Quatuor de Jérusalem a ému le public, mardi soir au Conservatoire de Genève. Outre le «Quatuor en fa» de Ravel, il jouait Haydn et le très beau Quatuor «De ma vie» de Smetana

Par Julian Sykes

Le Quatuor de Jérusalem, ce sont des cordes magnifiquement soudées et homogènes – presque fondues. Mardi soir, au Conservatoire de Genève, c’est dans le Quatuor en fa majeur de Ravel que cette qualité a paru la plus évidente. Sonorités diaphanes et moirées, raffinement des textures, subtilité des inflexions: il se dégageait une atmosphère onirique de cette interprétation, avec une once de sensualité qui sied bien à l’esprit de Ravel.

Le quatuor à cordes? Une «conversation» à quatre qui réclame unité d’intention sans taire les individualités. Le Quatuor de Jérusalem conjugue ces deux qualités – avec une attention particulière accordée au chant. Il y a une dimension vocale dans ses interprétations. Cette caractéristique frappe d’emblée dans le Quatuor en si bémol majeur opus 76 no 4 dit «Lever de soleil» de Haydn. Rien n’est heurté; tout est mené avec un souci d’harmonie qui traduit la recherche de perfection du classicisme viennois.

Plutôt que de vouloir imiter les instruments d’époque, le Quatuor de Jérusalem cultive une expressivité sans âge, fondée sur un équilibre apollinien. Pas de sonorités astringentes, au risque de limer certaines aspérités qui font partie du langage novateur – sous le vernis du classicisme – de Haydn. Aussi le «Menuet» sonne-t-il plus galant que rustique. Les musiciens font néanmoins ressortir le caractère balkanique du trio. Quant au finale, on y admire la grande lisibilité contrapuntique, avec un effet d’accélération dans les dernières pages.

Dans le Quatuor «De ma vie» de Smetana (qu’ils viennent d’enregistrer pour Harmonia Mundi), ils soulignent encore plus la veine lyrique de l’écriture. Ori Kam à l’alto (ancien membre de l’Orchestre philharmonique de Berlin qui a troqué son archet avec Amichai Grosz, ex-altiste du quatuor) se montre très expressif au début du premier mouvement. Tout s’intensifie dans le développement, avec une progression dramatique ponctuée de dissonances. Le deuxième mouvement, «une quasi-polka» (selon les mots de Smetana lui-même), enchaîne danses riantes et épisodes tendrement nostalgiques.

Le Quatuor de Jérusalem se montre particulièrement à l’aise dans le registre intimiste; le «Largo sostenuto» est de toute beauté. Le premier violon Alexander Pavlovsky, tout en souplesse et fruité, le violoncelliste Kyril Zlotnikov, à la sonorité de velours, secondés par le deuxième violon Sergei Bresler et l’altiste Ori Kam, confèrent son expressivité slave à cette musique sans jamais verser dans le pathos.

Le Quatuor de Ravel – offert en seconde partie – réunit quatre musiciens au diapason. Dans le premier mouvement, la transition au second thème est admirable, ponctuée d’une respiration. Le deuxième mouvement est plein d’esprit, jusqu’aux climats nocturnes – teintés d’une sourde inquiétude – du mouvement lent. Le finale est pris d’une façon moins acérée que d’autres ensembles (là où les cordes peuvent être incendiaires), un léger cran en dessous, comme si la beauté du son primait, encore et toujours.

«L’Andante» du Quatuor en ut majeur K. 157 de Mozart, donné en bis, fait penser à une cantilène de Pergolèse, avec cette plainte délicatement oppressée au premier violon. La tonalité en mode mineur se pare d’une frêle tristesse, celle d’un adolescent de 17 ans (Mozart, donc!) qui allait enchaîner chef-d’oeuvre sur chef-d’oeuvre. A nouveau, le subtil lyrisme du Quatuor de Jérusalem émeut.

February 28, 2014

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